Dans un message touchant adressé à la Nation à l’occasion des 18 ans de la guerre dite « des 6 jours », laquelle a opposé les rwandais et les ougandais à Kisangani du 05 au 10 juin 2000, une victime de cette tragédie, madame Aline ENGBE, exige l’indemnisation des victimes de ces atrocités. La N°1 de Tshukudunews, qui avait 12 ans à l’époque du drame, interpelle la nation et s’indigne de voir que, 18 ans plus tard, une affaire aussi gave soit négligée. Ci-dessous, l’intégralité du message.
Chers compatriotes, Bonjour et Que Dieu Vous bénisse!
C’est avec tristesse que j’évoque ce jour la dramatique catastrophe dite » Guerre de 6 jours » qui alla du 05 au 10 juin 2000 et qui a vu les armées rwandaise et ougandaise, appuyées chacune par nos frères égarés, s’affronter à l’arme lourde en pleine ville de Kisangani.
Cette rude bataille, dont le monde entier a pu voir les horribles conséquences à travers les centaines de morts et le grand nombre de destructions méchantes, nous a également marqués de manière définitive au plus profond de nos coeurs et sur dans nos chairs, nous, habitants de Kisangani de l’époque, nous les victimes innocentes de cette gigantesque, cette inommable barbarie.
Nos coeurs ont été à jamais meurtris, et les êtres chers qui nous ont été brutalement arrachés sont partis pour toujours, par contre les yeux des enfants que nous étions ont vu des horreurs qui ont à jamais marqué nos mémoires de terribles et sanglants souvenirs.
J’avais en effet, 12 ans, mais je me souviens de ces images cauchemardesques, de ces gémissements de bléssés qui vous glacent les coeurs et de l’odeur des cadavres parsémés dans les quartiers.
C’est comme si c’était hier. Je peux les yeux ouverts revoir tout.
Des oncles, des tantes, des frères et des amis avec qui vous êtes en train de causés éventrés par des éclats d’obus en un clin d’oeil, des marres de sang immenses qui stagnent un peu partout, des intestins des êtres chers étendus par terre, des râles déchirants des frères à l’agonie, la douleur des survivants, le désespoir des veuves et des orphelins, l’odeur des dizaines de cadavres que vous devez supporter pendant des jours sans bouger de votre cachette, des errances, des pleurs, des paniques…..
Je me souviens qu’un obus est tombé sur la maison de nos voisins, et nous avons fui pour aller nous réfugier chez notre tante, mais la maison de son voisin a été aussitôt démolie par une bombe. Nouvelle fuite. Sans compter la peur, la tristesse, la faim.., des violentes détonations qui vous sécouent les entrailles, des prières désespérées ça et là, des maisons de voisins qui explosaient dans un fracas de tonnerre, des corps déchiquetés, des infirmiers pleurant d’impuissance, des blessés impossibles à sauver, des familles entières décimées et, devant tout cela, la cruelle indifférence des rwandais et des ougandais.
Tout cela nous a profondément marqués, tout cela a humilié le Congo, l’Afrique, mais aussi le genre humain.
Cependant, à côté de notre devoir de souvenir, d’hommage à nos chers disparus, cette tragédie doit aussi à la fois nous interpeller et nous motiver.
En parlant du devoir de mémoire, j’estime que nos enfants ont droit le savoir ce qui est arrivé à Kisangani du 05 au 10 juin 2000.
Une grande nation se construit à travers les grandes épreuves événements qui cimentent son histoire, et la jeunesse doit savoir ce qui est arrivé à Notre Patrie, et surtout qui ont été victimes de ses ennemis.
C’est pourquoi les victimes des crimes contre l’humanité et des génocides sont des héros dont l’histoire doit garder le sacrifice.
Par exemple, les visiteurs de marque qui passent par le Rwanda doivent visiter le mémorial du génocide.
Pourquoi un tel devoir de mémoire ne peut-il pas être respecté ici chez nous pour les crimes commis à Kisangani et même ailleurs au Congo-Kinshasa ?
Hélas, le 05 juin 2018, les congolais n’ont pas entendu un seul message de la moindre autorité nationale ou provinciale en commémoration des 18 ans de cette catastrophe.
A Kinshasa, on discute sur le mandat, sur la machine à voter, quand la population de Kisangani, seule, se souvient de sa grande souffrance, et je crois que ceci est une erreur à corriger.
Pire, alors que l’une des résolutions issues du Dialogue inter congolais de Sun City était la réhabilitation de Kisangani, tous les budgets prévus à cette tâche n’y ont jamais été affectés.
Nous, les familles victimes, on nous a recensé et remis des jetons , mais voici 18ans que nous attendons de voir l’ombre du premier dollars de notre indemnisation.
Voilà pourquoi j’exige que le Gouvernement applique cette résolution du Dialogue de Sun City et indemnise les victimes, toutes les victimes des catastrophes et des sinistres.
En effet, c’est vraiment injuste que les victimes des évènements de septembre 2016 soient assistées par l’Etat à Kinshasa, pendant que les milliers des victimes de juin 2000 à Kisangani, qui ont les mêmes droits que les kinois, viennent de vivre 18 ans de fausses promesses.
Les victimes doivent organiser une pression qui doit arriver jusqu’à l’ONU qui n’a jamais sanctionné les auteurs de cette horreur, ni rappelé au Gouvernement congolais de remplir son devoir dans ce dossier.
A ce sujet, nous appelons l’ensemble du peuple congolais toutes tendances confondues de soutenir nos revendications légitimes.
Pourtant, aujourd’hui, malgré ce qui précède, nous ne pouvons pas nous limiter à réchauffer notre deuil.
Par contre, le souvenir de juin 2000 doit plutôt interpeller les boyomais qui doivent chacun parler et agir comme des agents de paix et de développement.
C’est pourquoi j’adresse cette exhortation à mes frères et à mes sœurs boyomais : partout et toujours, assurons la Grandeur de Kisangani .
Cette ville dont le surnom de troisième ville du pays ne doit pas rester un slogan, mais être vécu par la qualité du fruit de notre sueur, de notre créativité et de notre intelligence.
Kisangani qui a produit et soutenu plusieurs grands noms de ce pays tant au niveau des sports, des arts que de la politique, Kisangani qui est la ville la plus hospitalière du pays doit aussi devenir un magnifique symbole de prospérité: voilà la meilleure manière d’honorer nos morts de juin 2000.
Que Dieu Bénisse leur mémoire et protège notre chère Kisangani !
Fait à Kinshasa, le 06 juin 2018.